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ART et RESONANCES
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7 avril 2016

VIOLENCE ET CONTEMPLATION

 

VIOLENCE ET CONTEMPLATION 

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Photo: l'auteur avec Thich Nhat Hanh, juillet 1990

Par Tan NGUYEN, mars 2016, tous droits réservés

 

De nouveau, la violence envahit notre vie.

Quelle attitude prendre ? Un exemple me revient.

 

C’était en 1990. J’avais invité le moine vietnamien Thich Nhat Hanh à un colloque que j’organisais au Centre Source-Ecole Française de Psychosynthèse, à Paris, sur le thème du Savoir Vivre, Savoir Mourir.

Figurait parmi les intervenants Mireille Nègre, ex-danseuse étoile devenue religieuse et qui avait reçu la permission de vivre dans le monde et d’enseigner la danse classique. Il y avait aussi Antoine Trémolières, biologiste, chercheur au CNRS.

Thich était quasiment inconnu en France bien que son monastère était dans le Sud-Ouest. Par contre, ses travaux étaient connus aux Etats-Unis et nombre d’Américains venaient le voir en France.

 

Marilyne Lacabane, ma collaboratrice et moi-même, nous l’attendions ce jour-là au colloque. Nous l’avons vu arriver avec une démarche lente, en robe noire de moine et le chapeau de paille conique traditionnel des vietnamiens. Une présence de grande et belle qualité. Marilyne m’a tout de suite dit : il est réalisé spirituellement. Il était accompagné de son assistante, la fidèle Chan Khong qui le suivait depuis longtemps.

Le colloque avait commencé avec un exposé d’Antoine Trémolières, qui est aussi poète et chanteur. Nous avions mis dans la brochure du colloque un poème d’Antoine à propos d’une pomme.

Ce fut au tour de Thich de parler. Il prit l’exemple de la pomme pour décrire l’expérience de l ‘ « inter-être », cet espace relationnel qui relie les êtres et les choses. De quoi est faite en réalité, cette pomme ? De soleil, de vent, de terre, de pluie, de soin humain et d’amour.

Antoine dira qu’il n’avait jamais entendu parler d’une pomme comme cela, et qu’il verra les pommes différemment, désormais.

 

Puis Thich a demandé à la sœur Chan Kong de chanter des poèmes en français et en vietnamien. Poèmes de déchirement et de compassion. On était encore près de l’époque des boat-people qui fuyaient le Vietnam et le Cambodge à bord de petites embarcations, à la merci des pirates.

Si, en 1990, le flux des réfugiés s’était tari, la situation économique au Vietnam restait préoccupante avec la pénurie et même deux années de famine. Et les boat-people continuaient de fuir sur la Mer de Chine. On estime que depuis 1975, deux millions de vietnamiens ont quitté leur pays et que des milliers sont morts en fuyant en bateau.

Chan Khong s’arrêta de chanter. Thich quitta le pupitre.

 

C’était au tour de Mireille Nègre de se produire. Elle parla brièvement de son expérience de la foi et l’amour de la danse. Puis, elle se mit à danser, une danse classique sur une musique enregistrée. Une prestation parfaite, en termes classiques.

 

Mireille avait terminé.

A ce moment, Deborah, une praticienne de psychosynthèse éleva la voix pour proposer que la sœur Chan Khong chante et que Mireille danse en même temps.

La proposition fut acceptée. On écarta les chaises pour créer l’espace. La sœur vietnamienne, une femme en rondeur, chanta, et la sœur française, toute de minceur, de finesse, improvisa une danse, en dehors de tout répertoire.

Un grand moment d’émotion pour toute l’assistance, une centaine de personnes. Nous avions assisté à un instant d’amour et de créativité, qui pouvait être vécu à des niveaux différents. La danse/chant de la mère et de l’enfant ? L’union de l’âme et du corps ?

 

J’ai organisé en 1990-91 trois séminaires à Paris pour Thich, pour l’introduire au public français. Aujourd’hui, il est très connu. Mais à l’époque, la sœur Chan Khong me disait que quand elle et Thich allaient voir un éditeur français de livres sur la spiritualité, on leur demandait où Thich avait copié ce qu’il écrivait !!!

Au cours des 44 années passées, j’ai aidé un certain nombre de professionnels américains et européens, et de figures spirituelles à se faire connaître en France. Certains m’en ont été reconnaissants, d’autres pas. Leur apport est de nature professionnelle et/ou narcissique.

Mais Thich apportait un souffle, et comme le disait un participant, Thich est un continent tout entier.

 

Ci-joint deux poèmes de Thich Nhat Hanh. L’un, composé du temps où les boat-people fuyaient le Vietnam au péril de leur vie, « Appelez-moi par mes vrais noms ». L’autre, peut-être dédié aux prisonniers et condamnés des camps communistes et à leurs proches, « Promets-moi ».

Peut-on lutter contre la violence avec un poème ? On pourrait retourner la question : peut-on être efficace avec des réactions hystériques, en particulier celles des politiques qui savent tout sur tout ?

Thich Nhat Hanh n’est pas seulement un homme de prière, poète et artiste. Il est aussi homme d’action, un combattant de la non-violence pendant la guerre du Vietnam. Et après la guerre, entre 1975 et 2000, sa communauté agissante a envoyé des médicaments, de l’argent, des dons pour pallier aux privations, à la pénurie et aux famines qu’endurait le peuple vietnamien.

 

Pour moi, son apport principal est de montrer une voie : celle de pouvoir transformer la violence en un réel sentiment de compassion. C’est rare, à notre époque, de trouver une personne qui, ayant vécu un drame personnel et collectif, a su réaliser une transformation intérieure.

Bien sûr, il y a de tous temps, des cas de résilience individuelle, des personnes qui ont su transcender les épreuves personnelles. Mais ici, il y a une dimension collective indissociable de la tragédie individuelle.

Quand nous évoquons le passé avec mon ami, le professeur Barte, psychiatre, nous parlons de la génération perdue, celle qui a connu la guerre et l’exil intérieur ou réel.

Nous parlons des blessures de l’âme, celles invisibles aux millions de touristes qui viennent visiter le Vietnam des hôtels et des circuits guidés. La prospérité économique récente ne change pas le mal de l’âme.

 

Aujourd’hui, le drame de la violence arrive, ici même. Quel modèle de réaction peut nous inspirer, nous qui nous dépêtrons avec peine avec notre stress quotidien ? Des discours d’action, ou de colère ou de compassion, des discours des politiques, des journalistes ? Des discours de psy ? Nous n’arrivons même pas à gérer la violence psychique avec nos proches. Que faire ? refouler ? nier, faire comme si rien n’était ? prier ?

 

Et pourtant, il y a une possibilité de transformation d’un vécu de violence éprouvée au niveau personnel et collectif. Un être qui a fait ce chemin de maturation ouvre la voie à d’autres, à condition que ceux-ci acceptent la résonance personnelle.

 

 

POEMES DE THICH NHAT HANH

 

 

                              APPELEZ-MOI PAR MES VRAIS NOMS

 

Ne me dites pas que je pars demain,

Car je continue d’arriver aujourd’hui.

 

Regardez bien : j’arrive à chaque seconde,

Je suis un bourgeon sur la branche au printemps,

Je suis un petit oiseau aux ailes encore fragiles,

Qui apprend à chanter dans un nouveau nid,

Je suis une chenille au cœur d’une fleur,

Je suis un joyau qui se cache dans la pierre.

 

J’arrive encore, pour rire et pleurer, pour avoir peur et espérer,

Le rythme de mon cœur est la naissance et la mort de tout ce qui vit.

 

Je suis l’éphémère qui se métamorphose à la surface de la rivière

Et je suis l’oiseau qui, lorsque vient le printemps,

Arrive à temps pour gober l’éphémère.

 

Je suis la grenouille nageant gaiement dans l’eau claire de l’étang,

Je suis la couleuvre qui approche en silence pour se nourrir de la grenouille.

 

Je suis l’enfant ougandais, tout en peau et en os,

Mes jambes aussi minces que des tiges de bambou,

Je suis le marchand d’armes qui vend des armes de mort à ‘Ouganda

 

Je suis la fillette de douze ans réfugiée sur une frêle embarcation,

Et qui se jette à la mer après avoir été violée par un pirate,

Je suis ce pirate, mon cœur ne pouvant encore voir et aimer.

 

Je suis un membre du bureau politique et j’ai le pouvoir entre les mains,

Et je suis l’homme qui doit payer sa « dette de sang » à son peuple,

Et qui se meurt lentement dans un camp de travaux forcés.

 

Ma joie est comme le printemps, si chaude

Qu’elle fait éclore les fleurs dans tous les chemins de la vie.

 

Ma peine est comme un fleuve de larmes, si abondante

Qu’elle remplit les quatre océans.

 

Appelez-moi par mes vrais noms, afin que je puisse m’éveiller

Et que les portes de mon cœur s’ouvrent,

Les portes de la compassion.

 

 

 

PROMETS-MOI

 

Promets-moi aujourd’hui,

Alors que le soleil est juste au dessus de nos têtes,

De te rappeler, mon frère,

Même s’ils te terrassent

Sous une montagne de haine et de violence,

Que l’homme n’est pas notre ennemi.

Noble est la compassion,

La haine

Ne peut répondre à la violence,

La haine ne te laissera jamais affronter

La bête qui est en l’homme.

Et un jour,

Quand tu feras face à la bête,

Seul, ton courage intact,

Tes yeux pleins de gentillesse,

Alors de ton sourire

Naîtra une fleur,

Et tous ceux qui t’aiment

Seront tes témoins

Par delà dix mille mondes de naissance et de mort.

Seul de nouveau,

Je continuerai la tête baissée,

Mais connaissant l’immortalité de l’amour

Et sur la longue et dure route,

Le soleil et la lune brilleront tour à tour

Eclairant mon chemin.

 

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